"Le jeu de la mort": Quel est le pouvoir de la télévision ?

« Le jeu de la mort », c’est l’émission polémique (assez à charge) sur le pouvoir de la télévision.

Pour présenter l’émission, la voix-off commence et dit à propos de la télévision : « A quand le jeu de la mort en prime-time? jusqu’où peut-elle aller? peut-elle pousser à tuer? »

En analysant les différences entre l’émission et l’expérience originale, je n’arrive pas à la même conclusion …


La description du programme montre :
« nos films prouvent que la télé peut faire faire n’importe quoi à n’importe qui. Que certains diffuseurs n’ont plus aucune limite. Que les mises en scène pulsionnelles déclenchent l’addiction des téléspectateurs.
Il est temps de découvrir cette réalité. Il faut s’interroger sur le pouvoir de la télévision.  »

La télévision peut faire faire n’importe quoi à n’importe qui ? Et non, ce n’est pas la télévision seule …

L’expérience originale de milgram

Elle est décrite en détail sur cette page

Les différences entre l’expérience de milgram et l’émission

Cette émission reprend cette expérience dans le cadre d’un jeu télé.
L’expérience de milgram est effectivement bien reproduite dans l’essentiel: faux tirage au sort entre la (fausse) victime et le candidat, même l’échelle est identique.

Dans l’expérience de milgram, l’autorité est un scientifique demandant de tester la mémoire de la victime sous peine de chocs électriques. Ici le public a pour autorité le chauffeur de salle (on n’a rien vu sur leur manipulation, et donc sur la manipulation du candidat qui entend leurs réactions), et le candidat a pour autorité l’animatrice qui lui donne des ordres.

Mais la grande différence entre l’expérience originale et ce jeu est le cadre télévisuel : la présence du public, des caméras, de la musique de plateau et un gain (même fictif car c’est une émission-test) je trouve que cela change énormément la donne: le questionneur n’est plus seul avec le scientifique mais est devant d’autres personnes, et il y a un prix à la clé (les candidats veulent le faire gagner et sortir en vainqueur, même si le gain est fictif). L’animatrice n’est pas non plus une personne inconnue : c’est une star de la télé, et donc elle a une autorité naturelle auprès des candidats.

L’émission

La présentatrice présente la victime (le comédien) : « vous serez le héros de notre soirée », une façon de manipuler le candidat … car un héros ne peut être un héros que si il a une épreuve à surmonter. Elle laisse ensuite le candidat seul :« questionneur, vous êtes maintenant le maitre du jeu ».

L’autorité a 5 injonctions pour faire continuer les candidats qui hésitent à poursuivre: « ne vous laissez pas impressionner, continuez » « vous devez continuer c’est la règle » « c’est la logique du jeu, continuez » « nous assumons toutes les conséquences »
« sur le coup c’est sur il veut arrêter, mais dans 10 minutes il vous remerciera »
« vous pouvez pas empêcher le candidat de gagner, qu’en pense le public? » : cette injonction ne pourrait pas exister dans l’expérience de milgram et qui change beaucoup.
« allez-y continuez »

Un candidat dira: « je suis obligé ».
La musique d’orange mécanique est spectaculaire…

81% des candidats sont allés jusqu’au bout, chez milgram, ils étaient 62%.

Si on remplace la présentatrice par une autorité religieuse, militaire, hiérarchique, le résultat sera-til identique ?

L’analyse des scientifiques

Elle ne fait pas dans la dentelle :
La télévision peut organiser une mort sans discussion.
« enfant nous apprenons les règles (…) nous savons reconnaître les autorités légitimes (…) nous nous plions aux mêmes règles (…) nous sommes des êtres seuls reliés aux autres par des lois auxquelles nous nous soumettons sans réfléchir » « quelle légitimité a la télé ? »

« le mécanisme qui enclenche l’obeissance a commencé dans le bureau du producteur »: énoncement de règles, des exigences situationnelles. Ils distinguent des valeurs compatibles qui leur permettent d’accepter le contrat et des valeurs incompatibles. Il est seul : il accepte.
« Comme il est seul, il n’a pas de défense et il devient l’être le plus obéissant qui soit »

« il va se mettre en mode automatique, et en mode automatique on lui donne des ordres, il obéit. » « chaque coup de manette l’engage dans la situation » « l’escalade d’engagement » « milgram l’appelle l’état agentique » : quand quelqu’un d’indépendant se trouvé inséré dans un système avec une autorité supérieure, il va se trouver comme un agent d’exécution. Cela obture leur pensée.

Ils définissent un combat intérieur: « Coincé entre un système légal et un système moral » et cela a des échelles :

– Au 4 eme choc: 70% des candidats rient. Pour évacuer la tension selon les chercheurs (ou un petit sadisme ?).
– A 180 volt: « ca ne me fait plus rire » ils ont un choix entre arreter comme la victime demande d’arreter ou continuer. Certains trichent ce qui permet de déculpabiliser. Ceci renforce l’obeissance car ils sont calmés.
– 320 volts: la victime demande de boycotter le jeu. 70% parlent à la place des cris pour repousser la souffrance.

Les scientifiques identifient l’animatrice au pouvoir de la télévision: « Ils ignorent les cris de jean-paul, soumis à ton autorité qui est celle de la télévision ».

Certains n’y croyait pas et donc jouaient : 6% selon milgram, mais combien ici ? Quelques-uns ont commenté: « Je suis dans un jeu, je suis dans un théâtre. » Les jeux télévisés sont connus pour ne pas tout dire aux candidats sur la vérité de ce qu’ils vivent ! Les « twists » révèlent une autre vérité à la fin de l’émission (« mon incroyable fiancé »,…) .

Arrive un moment où il y a un combat entre l’animatrice et le candidat pour savoir quoi faire entre les injonctions répétées et le choix moral. Un argument qui prouve l’influence des caméras, un candidat dira : « c’est moi qui pousse les manettes et c’est moi qui suis filmé ».

Une candidate qui a gagné ce combat s’est souvenu des camps nazis: elle a pris une référence morale supérieure à l’autorité. Une autre dira : « cela va au-delà de ma personnalité ».

Parmi ceux qui sont allés jusqu’au bout, certains essayent de négocier, mais ils se retrouvent dans l’état agentique: « j’étais un pantin » « on sent qu’on est propulsé »

La Voix-off analyse : « La désobeissance est tellement difficile à réaliser que l’histoire met en avant ceux qui ont réussi ». et elle montre l’exemple de tien an men.
« Savoir dire non ne s’improvise pas (…) personne n’est résistant dès sa naissance »

La révélation

Psychologiquement, c’est dur à supporter, et heureusement le comédien vient les soulager sur sa vraie condition.

Les candidats qui sont allés jusqu’au bout commentent le vrai pouvoir de la télévision car ces commentaires n’auraient pas pu être dit dans l’expérience de milgram :
« il y a les caméras, il y a ce poids des gens qui sont autour de vous » « A la télévision tout le monde sourit ». « les caméras, les projecteurs, l’ambiance la musique: bien emballé, le personnage se modifie » « j’étais désolé de mettre en péril la production »

La variante

Variante: A 80 volts, ils changent la règle: l’autorité disparaît (l’animatrice s’en va), et il ne reste que le public. Dans ce cas, 25 % obéissent sans autorité: « personne ne profite d’une situation de dominance pour jouir en toute impunité de la souffrance des autres ». Dans l’expérience de milgram, il est de 20 %.

Quelle est la nature de la télévision? L’émission conclut: La télévision est aujourd’hui un système tellement puissant que son emprise dépasse d’autres emprises: par exemple, celle de la religion.
50 ans de propagation d’un modèle de comportement. La téléréalité est un modèle de comportement plus intégré que les autres systèmes. 123187 heures devant la télévision dans une vie. C’est elle qui impose ses valeurs, impose ses modèles. 30% des obéissants n’ont contesté aucun ordre.

Il conclut: « Nous avons eux des gens semblables aux autres. (…) 80% de ces gens se sont comporté comme de possibles tortionnaires. Ces 80% reflètent un pouvoir qu’à acquis la télévision qui est relativement terrifiant. »

Et on finit par la musique d’orange mécanique pour renforcer le coté terrifiant …

Et moi, qu’est-ce que j’aurais fait ? Tout le monde aurait fait pareil … Bien que je trouvais les ordres de l’autorité militaire totalement stupide, je suivais pour ne pas me retrouver au trou …

Le débat

Le scientifique est vraiment axé contre le principe de la télé-réalité, tel « Le maillon faible » qui s’axe vers les instincts les plus bas : « s’éliminer entre eux ».

Pour montrer l’horreur de la télévision, l’émission ne montre que des émissions étrangères : les émissions sadiques japonaises (ils sont des moeurs), le jeu de la roulette russe (qui n’était qu’un tour de magie à mon avis, confirmé par morandini dans le débat 🙂 ), la dissection d’un cadavre (on voit pire dans la série « les experts », et on peut la voir comme une émission scientifique). Mais ces émissions ne seraient pas possibles en France.

Je ne suis pas d’accord avec jean-marc morandini quand il soutient que la nudité n’est pas apparue dans la télé-réalité… dans l’avant-dernier « secret story », la nudité était permanente. Certes ce n’est plus le cas…

La conclusion

Les 19% de différence entre l’expérience de milgram et cette expérience télé est véritablement le vrai pouvoir du cadre télévisuel (et non pas de la télévision) : 19% de personnes de plus ont suivi les ordres. C’est le cadre télévisuel (caméras, public, musique, manipulation par l’animatrice et le public) qui pousse plus de gens, mais sans le cadre télévisuel, je suis convaincu qu’on serait retombé sur les 62% de milgram. Et avec le cadre télévisuel seul (l’animatrice part), on tombe à seulement 5% de différences avec milgram (qui aboutit à 20% sans l’expérimentateur) … 14% du pouvoir viennent donc des injonctions de l’animatrice (et donc de son aura).

Ce n’est pas le pouvoir de la télévision en lui-même qui est en fait jugé, c’est le pouvoir de toute autorité. Quand on accepte de signer un contrat avec une production, on accepte les règles énoncées dans le contrat. Et c’est pour cela que de plus en plus de candidats de télé-réalité l’étudient avant de le signer (ou contestent en justice après coup en voyant qu’ils ont accepté de donner trop de pouvoir).

L’émission a pour but de montrer le « pouvoir de la télévision ». Mais le vrai pouvoir de la télévision n’est-elle pas de dénoncer, d’informer et ainsi d’améliorer l’humanité ? Cette émission n’est-elle pas une émission de télévision citoyenne ? La télévision est un média, et comme tous les médias, c’est la production qui décide de quoi diffuser et les téléspectateurs qui choisissent quoi regarder… on ne peut s’en prendre qu’à nous-mêmes si la télé-réalité fonctionne.

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